'ancrage postérieur au niveau de la mandibule a toujours été compliqué à obtenir lors de nos traitements orthodontiques.
Nous avons essayé un grand nombre de vis d'ancrage et de systèmes de plaques qui nous ont donné des résultats cliniques tout à fait acceptables mais qui avaient beaucoup d'inconvénients.
La zone de trigone rétro-molaire présente une muqueuse épaisse et un accès compliqué.
Les systèmes sont souvent difficiles à utiliser et à réactiver pour les orthodontistes. Ils sontgênants pour les patients qui sont fréquemment blessés, ce qui augmente significativement les rendez-vous d'urgence dans nos cabinets. Pour finir, ils nécessitent tous une réintervention chirurgicale au moment de leur dépose car ils sont enfouis pour être solidement ancrés en distal des dents mandibulaires.
Toutefois, cette zone est très intéressante pour un ancrage orthodontique car distaler des molaires mandibulaires ouvre de nouvelles voies dans de nombreux plans de traitement.
Nous nous sommes inspirés d'une technique développée dans les années 1930, par Vitali Abalakov, un alpinisme soviétique. Il révolutionna l'alpinisme en développant un ancrage infaillible dans la glace, qui lui a permis de réaliser de nombreuses ascensions dans le Caucase.
Cette technique, qui porte son nom, fut une véritable révolution en alpinisme glacière et est encore utilisée de nos jours. Ce système est rapide à mettre en place, peu coûteux (ne nécessite qu'un simple morceau de cordelette), très facile à déposer et ne laisse, au final, aucune trace dans la glace.
Il s'agit d'un ancrage d'une grande simplicité puisque ce n'est que la connexion, par une cordelette, de 2 trous dans la glace qui se rejoignent. Il est extrêmement fiable grâce au pont de glace qui emprisonne la corde.
Situation finale de l'ancrage, vue de face. La cordelette est emprisonnée par un pont de glace.
Nous avons donc logiquement essayé d'utiliser l'idée géniale de cet alpiniste pour répondre à nos problématiques d'ancrage postérieur à la mandibule.
Nous proposons dans cet article un nouvel ancrage orthodontique, qui comme l'Abalakov dans les années 30, révolutionnera certainement l'ancrage dentaire. Avec cette technique, l'ancrage postérieur
Cette patiente a déjà été traitée lorsqu'elle était adolescente. Elle présentait une classe 2 dentaire et squelettique et son orthodontiste lui avait alors extrait quatre prémolaires définitives.
Elle présente aujourd'hui des troubles articulaires avec une limitation d'ouverture buccale, un sourire gingival et une rétrogénie.
Examen céphalométrique de début de traitement.
Un protocole orthodontico-chirurgical d'une durée de 18 mois.
Nous proposons des ancrages mandibulaires de type Abalakov afin de préparer efficacement le geste d'avancée mandibulaire en redressant l'incisive inférieure.
Notre objectif est de distaler les molaires et de retrouver un axe mandibulaire correct de 90°. Cela permettra une propulsion mandibulaire efficace pour corriger la rétrogénie et obtenir une occlusion correcte en classe I avec des axes dentaires normalisés.
La patiente est appareillée par le Docteur Raphaël FILIPPI avec système multi-attache vestibulaire GC Orthodontics auotoligaturant en Roth .022x .028.
Les premiers fils mis en place sont des arcs Bio Edge .020x.020 / F200 de chez GC (arcs à mémoire de forme).
Les ancrages postérieurs mandibulaires par fil d'ostéosynthèse sont positionnés par le Dr Paul CRESSEAUX.
Les ancrages seront mis en place le jour de la pose des attaches et connectés immédiatement aux canines mandibulaires avec des ressorts NiTi de 300g des deux côtés.
Une chainette élastique est mise en place de 33 à 43 afin d'éviter de voir apparaitre des diastèmes entre les dents antérieures lors du recul. Le recul se fait en masse sans aucun effet parasite car la direction de traction est dans l'axe du fil inférieur. La chainette sera changée tous les mois lors des RDV de la patiente.
Orthopantomographie prise lors de la mise en traction du système. Les ressorts sont connectés entre les Abalakov et les canines mandibulaires en traction directe.
Nous utilisons de simples fils d'ostéosynthèse qui étaient utilisés il y a 20 ans, avant l'avènement de l'ostéosynthèse par plaque.
Ils sont placés en regard de la moitié de la hauteur coronaire molaire, ce qui correspond à la hauteur de collage de l'appareil multi-attache.
Ces fils peuvent être insérés sous anesthésie locale (une sédation intraveineuse peut la compléter). L'accès à la branche montante de la mandibule est équivalent à l'accès réalisé pourles extractions des dents de sagesse. Celles-ci sont d'ailleurs souvent extraites lors de l'opération, ce qui permet d'améliorer le recul de l'arcade inférieure donc le redressement incisif.
Une perforation de la branche montante est réalisée, sous irrigation, grâce à une fraise boule montée sur pièce à main chirurgicale, afin de faire passer le fil d'ostéosynthèse de part et d'autre, en protégeant le nerf lingual.
Un fil d'ostéosynthèse (de 4/10 ème de mm de diamètre) est ensuite inséré dans la perforation. Les deux brins seront toronnés et repliés au niveau de l'appareil d'orthodontie pendant le geste chirurgical afin de ne pas gêner le patient. La mise en traction par l'orthodontiste peut avoir lieu rapidement après la mise en place du système.
Les suites opératoires sont simples et le plus souvent résumées à celles de l'extraction des dents de sagesse quand elles ont lieu dans le même temps. Au bout de 6 mois de traction, le redressement incisif souhaité est obtenu et nous programmons l'intervention d'avancée mandibulaire.
La comparaison des téléradiographies permet d'objectiver le redressement incisif mandibulaire et la distalisation molaire mandibulaire obtenue. Nous observons également le maintien des axes incisifs au niveau de l'arcade maxillaire.
On note un redressement incisif très important. En effet, l'axe incisif mandibulaire est passé de 112° à 90.3° en 6 mois. Une distalisation molaire de3 mma également été obtenue. Les axes incisifs maxillaires ont été maintenus, ce qui correspond parfaitement à notre objectif de départ. Grâce au bon redressement des axes incisifs et donc à une phase de décompensation pré-chirurgicale efficace, l'avancée mandibulaire a pu être suffisante et a permis de complètement corriger la classe II squelettique et dentaire.
La phase de décompensation pré-chirurgicale a été obtenue très rapidement grâce à notre ancrage.
La durée totale de ce traitement orthodonticochirurgical a donc finalement été de 15 mois.
Les objectifs squelettiques, dentaires et fonctionnels ont été atteints.
Photos exobuccales de fin de traitement.
Examen céphalométrique de fin de traitement.
L'ancrage par fil mandibulaire nous a fait entrer dans une nouvelle dimension de l'ancrage orthodontique. Comme souvent, les bonnes idées se déclinent dans différents domaines et l'ingéniosité de Vitali ABALAKOV a révolutionné notre pratique orthodontique au quotidien.
La distalisation de dents mandibulaires est devenue une option orthodontique simple, confortable pour les patients et aussi pour l'orthodontiste. Les
résultats sont prédictibles et le système ne constitue | |||
pas un surcoût pour le patient. | |||
Les préparations orthodontiques des chirurgies | |||
d'avancée mandibulaire où un redressement incisif | |||
important est nécessaire peuvent s'envisager | |||
sereinement et les indications d'extractions de | |||
prémolaires deviennent plus rares. Les corrections | |||
purement orthodontiques des classes III dentaires avec | |||
un recul des dents mandibulaires seront désormais | |||
abordées plus simplement. | |||
Nous avons décidé d'un commun accord entre | |||
les Docteurs Paul Cresseaux et Raphaël Filippi | |||
d'appeler cet ancrage osseux « un ABALAKOV ». | |||
Conflits d'intérêt: les auteurs déclarent n'avoir aucun | |||
conflit d'intérêts | |||
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